Quand l’information se veut constructive : zoom sur le journalisme d’impact !

« Les médias du futur seront ceux qui nous pousseront à construire le monde de demain, et non à désespérer du présent*, »  cet adage, Christian de Boisredon l’a fait sien.

Pionnier du journalisme de solutions, en 2012, il fonde l’agence Sparknews, afin d’insuffler de nouvelles pratiques autour de l’information.

Audacieux, il souhaite générer un réflexe de fond avec les journalistes pour que ceux-ci tournent leurs regards vers les solutions dont le monde fourmille. « Ne vous résignez-pas, » semble-t-il nous murmurer à l’oreille. Et pour s’en convaincre, il suffit de l’écouter.

Rencontre !

Edito photo - Christian de Boisredon

« Plus on partage, plus on essaime et plus les solutions ont des chances d’être dupliquées, financées et soutenues ! »

C’est une personnalité haute en couleur, mêlant générosité et ambition que je retrouve ce matin. Le temps d’un petit déjeuner, Christian évoque avec une grande lucidité ce que le journalisme doit être aujourd’hui : une incontestable invitation à embarquer à bord des trains qui arrivent à l’heure, voire même avec un peu d’avance !

Braquer les projecteurs sur les solutions !

 À ses yeux, le journalisme de solutions ou d’impact, c’est l’avenir.

Dépassant l’analyse purement factuelle d’un problème de société, ce journalisme se donne pour mission d’y répondre. « Non pas en se cantonnant à porter le couteau dans la plaie, » précise-t-il, ou en dépeignant le monde comme un bijou de petitesse, mais en mettant en lumière les femmes et les hommes qui se lèvent pour changer les choses, y compris et essentiellement là où ça va mal.

Lorsque je lui demande comment lui est venue cette idée de braquer les projecteurs sur les solutions, Christian me relate une histoire singulière, la sienne. Celle d’un homme qui a décidé de sortir du connu pour créer.

 Quand un article du Monde est à l’origine de plus de 100 000 emplois …

Son premier déclic, Christian l’a eu à 14 ans lorsqu’il décide de rendre visite à son grand frère, parti au Chili pour aider les personnes dans les bidonvilles.

« Nous nous demandions sans-cesse ce que nous pouvions faire,» me dit-il en évoquant les situations de misère qu’il découvre sur place. Christian me raconte que, s’ils étaient en mesure de répondre à une situation d’urgence, leur désir se trouvait ailleurs. Ils se questionnaient afin de savoir comment ils pouvaient apporter une réponse concrète et durable au caractère tragique de ces situations.

« Servir la soupe, c’est bien, mais ça n’a jamais résolu le problème ! »

Un jour, se souvient-il, il tombe sur un article du Monde mettant en lumière l’impact du micro-crédit sur les populations les plus pauvres au Bangladesh.

Nous sommes dans les années 80, et cet article l’inspire au point qu’avec son frère ils décident de dupliquer l’initiative du micro-crédit au Chili. «  En lisant ce papier, nous nous sommes dit, si cela fonctionne au Bengladesh, cela peut marcher ici ! »

Ainsi, grâce à un simple article, traitant l’information sous l’angle des solutions, est née la première banque des pauvres au Chili. Cette banque génère aujourd’hui plus de 100 000 emplois.

« Ce qui est dingue après coup, reconnait-il enthousiaste, c’est que le journaliste qui a écrit cet article a au moins changé la vie de 100 000 personnes et ne le sait peut-être pas ! »

Il n’y a pas de petit impact !

 Christian prend alors conscience que des projets peuvent éclore partout et faire la différence, pour peu que les médias mettent en lumière les initiatives positives dont le monde fourmille !

De retour à Paris, il poursuit des études d’ingénieur agronome, avant de retourner au Chili pour faire un stage dans la banque de micro-crédit créée par son frère. « Lors de ce stage, j’ai commencé à réaliser des interviews d’entrepreneurs sociaux. »

Christian revient sur ses nombreuses rencontres, et évoque le souvenir de Maria Gomez, une femme des bidonvilles, qui grâce au micro-crédit a pu ouvrir sa boulangerie. « J’ai souvent refait le monde avec elle ! Maria m’a régalé avec ses croissants. D’ailleurs, ce sont probablement les meilleurs croissants du monde ! » se remémore-t-il avec tendresse.

Ces rencontres le confortent dans l’idée qu’il est possible de ne pas rester focalisé sur ce qui ne fonctionne pas.

Se décentrer de ce qui ne fonctionne pas !

 D’ailleurs, à ses yeux, « les trains qui arrivent en retard » font peut-être encore la Une des journaux mais n’ont absolument aucun impact sur le monde. « Il ne font que générer angoisse, colère, et sentiment d’impuissance, » déplore-t-il.

En effet, dénoncer les problèmes permet d’alerter l’opinion mais aller plus loin en relayant les initiatives répondant aux grands défis du monde actuel permet de générer l’action.

Voilà pourquoi, à 24 ans, avec deux de ses amis, il décide de partir faire le tour du monde « des initiatives positives.»

« Nous avions 24 ans, et souhaitions découvrir le monde à travers nos propres yeux, et non via les images des caméras du 20H00 et leur cortège de misère. » me précise-t-il.

Leur idée est de se rendre au cœur des désespérances pour y trouver des porteurs d’espoirs, rencontrer celles et ceux qui font avancer les choses. « Ce sont les gens qui font bouger le monde que nous voulions rencontrer ! »

Christian et ses amis préparent leur voyage avec soin. « Nous avons obtenu quelques subventions et passé un accord avec une radio pour une chronique quotidienne de quelques minutes. »

Ce périple, du Mali à Haïti, en passant par le Vietnam, la Turquie ou encore le Liban, durera deux ans et sera à l’origine d’un livre, « L’espérance autour du monde » (éd. Pocket). « On avait en tête d’écrire un livre mais nous avions 25 ans et nous ne pensions pas que c’était possible ! »

 Un tour du monde des solutions devenu best-seller !

Pourtant, quelques mois plus tard, la soirée de lancement du livre organisée salle Wagram à Paris est un succès. « Plus de 3500 personnes se sont déplacées, uniquement via le bouche-à-oreille et Internet. Le livre est devenu un best-seller traduit en plusieurs langues. C’est là que mon second déclic a eu lieu. »

Christian prend alors toute la mesure de l’attente du public pour l’information au service des solutions, et son intuition le pousse à aller plus loin.

« Créer une source d’informations qui alimente les solutions du monde. » Voilà son grand pari !

 L’Impact Journalism Day, une révolution au service de 120 millions de lecteurs !

 Pour cela, il créé l’entreprise sociale Sparknews dont l’objectif est d’amplifier la transformation positive de la société. A l’origine Sparknews est une plateforme consacrée aux reportages d’impact qui visent à résoudre les questions sociétales ou environnementales en apparence insolubles. Et pour que les lignes bougent encore plus vite, aura lieu le 24 juin prochain, la cinquième édition de l’Impact Journalism Day.

« Ce jour-là, m’explique-t-il, 55 medias du monde entier réaliseront au moins un sujet sur une initiative positive de son pays et dédiera son supplément aux autres solutions récoltées par tous les partenaires de Sparknews. » 

Ainsi, l’Impact Journalism Day, permet d’informer plus de 120 millions de lecteurs sur les solutions qui existent, et sensibilise les rédactions afin qu’elles ne fassent plus l’économie d’orienter leur ligne éditoriale en traitant l’actualité sous un angle constructif, plutôt que de suivre un courant dominant réducteur.

« L’Impact Journalism Day permet de donner des idées à des entrepreneurs, et offre de sérieux coups de pouce aux porteurs de projets, reconnaît-il. Car plus on partage, plus on essaime et plus les solutions ont des chances d’être dupliquées, financées et soutenues ! »

Passionné, engagé et résolument optimiste, le message de Christian est radical.

Si notre façon de regarder le monde induit la manière dont il évolue, face à la complexité du XXIe siècle, se borner à dénoncer les horreurs économiques de notre époque peut apparaître être comme une pratique à la fois dangereuse et obsolète.

Nous nous devons d’aller plus loin. Nous avons trop de défis à relever.

* « Les médias du futur seront ceux qui nous pousseront à construire le monde de demain, et non à désespérer du présent. » Ma tribune à (re)découvrir ici!

Annabelle Baudin

Bonus des optimistes:  

DÉCOUVRIR!

Interview de Caroline de MALET, Chef de service Figaro demain par Annabelle Baudin

PORTRAITS DE QUELQUES JOURNALISTES DU FIGARO

« Ce média touche davantage les jeunes, qui ont une sensibilité plus forte que la moyenne à cette nouvelle façon d’appréhender d’avenir. »

 Peux-tu en quelques mots nous parler de Figaro Demain ?

Figaro demain est né en juin 2015, voici deux ans, en partenariat avec Sparknews. Dédiée aux initiatives et acteurs du changement, elle met l’accent sur des projets innovants ayant un impact social ou environnemental.

Il s’agit d’une rubrique Web transversale, à laquelle collaborent tous les journalistes du Figaro, print ou Web, désireux de le faire. Et ce quel que soit leur domaine, puisque Figaro demain a plusieurs rubriques : Société, Education, Santé, Environnement et Energie. Même si la rubrique est hébergée dans la section Economie du Figaro.fr, dans les faits, je m’appuie sur des contributeurs réguliers issus de différents services du journal, comme l’Economie, le Figaro Etudiant, la Société, la Politique, la Santé, mais aussi Madame Figaro.

Comment est née cette idée ?

Cette rubrique est née dans la foulée du premier Impact Journalism Day (IJD) dont Le Figaro a été partenaire avec un supplément papier.

L’idée d’une rubrique régulière, soufflée par Sparknews, a été très bien reçue par la direction qui m’a donné son feu vert pour lui donner forme.

Et le web s’est imposé naturellement comme le meilleur vecteur pour l’accueillir, la rubrique étant transversale et touchant à tous les sujets. Sans compter que ce média touche davantage les jeunes, qui ont une sensibilité plus forte que la moyenne à cette nouvelle façon d’appréhender d’avenir.

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Opter pour une ligne éditoriale de solutions, est-ce passer à côté de l’actu ?

Le journalisme de solutions est compatible avec certains sujets d’actualité.

Mais il est surtout adapté aux papiers de rebond, pour illustrer une des solutions existantes à un problème de fond qui fait la Une de l’actualité, comme éclairage. Sur d’autres sujets (politique électorale ou attentat par exemple), cela peut en revanche être parfois plus compliqué.

En quoi le journalisme de solutions se différencie d’un journalisme « de bonnes nouvelles » ?

A ne surtout pas confondre !

Le journalisme de solutions ou d’impact apporte des solutions innovantes à des problèmes de société, qui sont susceptible d’inspirer d’autres initiatives comparables.

On est loin d’un journalisme de bonnes nouvelles ou d’un « monde de Bisounours ». On parle des problèmes de fond mais en renversant l’angle d’attaque d’un article.

Il s‘agit de mettre davantage l’accent sur les pistes d’espoir que sur les problèmes. C’est une nouvelle façon d’aborder les sujets de société. En ce sens, c’est un nouveau paradigme pour les journalistes.

Le journalisme d’impact ou de solutions attire-t-il les lecteurs ?

Oui, les lecteurs apprécient beaucoup la vague d’optimisme suscitée par ce type de journalisme.

Il y a une certaine lassitude de la morosité ambiante et les lecteurs sont friands de ces initiatives porteuses d’espoir. Cela les conforte dans l’idée que tout un chacun peut changer le monde à son échelle, par son action, aussi simple soit-elle.

Les sujets traités dans la rubrique sont généralement très lus et nous avons de très bons retours. Y compris en interne, où le supplément IJD est très apprécié. Certains journalistes qui ne sont pas rédacteurs prennent même sur leur temps personnel pour écrire des articles dans Figaro demain.

A tes yeux, un article peut-il faire bouger les lignes ?

 Oui, je crois. De nombreux exemples illustrent ce potentiel.

Si l’article que nous avons publié sur Ma Voix, ce mouvement qui présente de simples citoyens aux élections législatives, a eu pour effet de convaincre des abstentionnistes déçus de la classe politique de voter au second tour de l’élection présidentielle en espérant pouvoir jouer un rôle plus actif dans les décisions de leur pays, c’est une grande satisfaction.

Un papier sur l’application Too Good To Go va inciter les consommateurs à s’approvisionner dans des restaurants qui bradent leurs invendus en fin de journée, luttant ainsi contre le gaspillage alimentaire et sensibilisant à cette thématique.

Un sujet sur les familles d’accueil pour personnes âgées peut donner des idées à une famille désemparée et à tel autre entrepreneur de mener une initiative solidaire comparable sur une autre cible.

C’est ainsi, en lisant un article de notre supplément 2015, que Stéphane Courbit, le fondateur de la société de production Banijay, a contacté l’équipe de l’émission égyptienne de téléréalité « El Mashrou », qui a vocation à promouvoir l’entrepreneuriat dans les couches défavorisées, pour la distribuer en France.

Cette pratique a-t-elle de l’avenir ? Permettra-t-elle à la presse de regagner la confiance du public ?

Le journalisme d’impact figure désormais au programme de plusieurs écoles de journalisme et cette année j’ai été contactée par plusieurs étudiants qui consacrent leur mémoire de fin d’études au sujet.

Je pense que cette nouvelle génération, qui a été sensibilisée à cette approche, y viendra plus naturellement que la nôtre. Et cette offre rencontre la demande du public pour une presse plus transparente, en laquelle il a de moins en moins confiance, à condition de ne pas tomber dans le militantisme.

Regagner la confiance du public est un challenge que nous devons tous relever et le journalisme d’impact peut largement y contribuer.

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