« Ce n’est pas en supprimant les sapins de Noël qu’on va sauver la planète ! »
À l’heure où nombre de fondamentalistes verts se réjouissent du ralentissement de l’économie mondiale et considèrent le coronavirus comme une aubaine pour la planète, l’écologie est-elle forcément l’ennemie de l’économie ? Échange passionnant avec le médecin-psychiatre et aventurier helvète Bertrand Piccard, en marge du LH Forum organisé par l’Institut de l’économie positive et Jacques Attali. Entre croissance illimitée et décroissance économique, une troisième voie existe.
Bertrand Piccard aime embrasser les défis considérés comme impossibles, et s’affranchir des idées reçues. C’est dans son ADN. «Non. On ne va pas protéger l’environnement avec de la décroissance économique », m’assure-t-il, quelques minutes à peine après avoir terminé un plaidoyer magistral en faveur de l’économie positive sur la scène du Volcan au Havre. Le président de la Fondation Solar Impulse ne mâche pas ses mots : « Nous n’allons pas obliger les gens à décroître, à réduire leur mobilité et leur qualité de vie pour protéger l’environnement. Comprenez bien qu’à ce rythme, on va finir par dégoûter tout le monde ! » Puis de poursuivre en plantant son regard bleu perçant dans mes yeux. « Quel bilan pouvons-nous tirer de ces quelques mois de confinement au printemps dernier ? On se réjouit parce qu’il y a moins d’émissions de CO2. Mais à quel prix ? Au prix de millions de chômeurs et d’une catastrophe économique sans précédent. » La meilleure manière de protéger l’environnement n’est certainement pas de détruire l’économie. C’est la raison pour laquelle le Docteur Piccard nous livre ici « une ordonnance » adaptée aux enjeux de l’époque, démonstration à l’appui.
Être logique avant d’être écologique
Pour le psychiatre et aventurier suisse, l’innovation passe d’abord par l’abandon de ses propres systèmes de croyances. En mars 1999, en réalisant le rêve de Jules Vernes, le premier tour du monde en ballon, il prend conscience qu’une page de l’Histoire se tourne. « On dit toujours The sky is the limit, (Le ciel est la limite) c’est faux. En réalité The fuel is the limit. » (La limite est le carburant) Bertrand Piccard se souvient. « Après vingt jours de vol et plus de 46 000 km dans le ciel, sur les 3,7 tonnes de propane liquide embarquées au décollage, il ne restait que 40 kg à l’atterrissage. Le succès de cette entreprise a entièrement dépendu de la consommation des brûleurs. »
Faute de carburant, la dernière grande aventure humaine du vingtième siècle aurait bel et bien pu échouer. « La notion d’énergie devient tangible quand on commence à en manquer », précise-t-il, avant de rappeler qu’aujourd’hui, nous vivons comme si nous avions suffisamment de ressources jusqu’à la fin des temps. Bertrand Piccard décide alors de s’engager contre cette fausse croyance. Pour briser ce paradigme, il nous propose de rentrer dans un autre modèle : celui de l’efficience énergétique. « Ce qui est emblématique de notre époque, c’est qu’on ne réfléchit qu’en terme de production. S’il n’y a pas assez, on veut plus. Mais jamais on imagine l’efficience énergétique pour consommer moins ! »
S’affranchir des schémas traditionnels
Bertrand Piccard se promet d’effectuer un autre tour du monde, mais cette fois, il se passera d’énergie fossile. « C’est ça le rêve de Solar Impulse », s’enthousiasme-t-il ! « Un avion capable de voler sans carburant, sans limite, sans pollution, de jour comme de nuit. » Un projet à la fois symbolique et ambitieux dont l’objectif est de promouvoir des solutions propres à travers une aventure spectaculaire. « Nous étions dans la même logique que les hommes ayant réalisé le premier pas sur la Lune. Ils ne voulaient pas y envoyer des touristes ou multiplier les fusées Apollo ! Ils désiraient montrer que c’était possible afin de développer des technologies applicables par ailleurs. » L’aviateur cultive le goût des défis considérés comme chimériques. D’ailleurs, pour les industriels de l’aéronautique, cet avion solaire était irréalisable. « Je suis passé pour une sorte d’artiste ! Personne n’y croyait », avant d’ajouter, « désormais, tous travaillent sur des programmes d’avions électriques. Nous avons cassé une croyance. C’est le lot des pionniers !»
Sortir de sa zone de confort
Face aux refus des professionnels de l’aéronautique, l’aventurier décide de se tourner vers un chantier naval. « Le patron du chantier naval n’avait aucune certitude, donc il n’avait pas de filtre. Pour lui, ce projet ne relevait pas de l’impossibilité, c’était un challenge. » Par exemple, comment peut-on appliquer les techniques de fibres de carbone, qui sont bien connues dans les bateaux de courses, à un avion ? « Il a réussi de manière admirable. » Bertrand Piccard en profite pour revenir sur la psychologie des investisseurs : « particulièrement intéressante. » En effet, Solar Impulse n’a pas été financé par le secteur aéronautique ou énergétique. « J’ai dû sortir de tous les schémas traditionnels. Vous savez, un spécialiste a appris à reproduire ce qu’il connait, mais pas à évoluer en dehors de sa zone de confort.»
Contre toute attente, son avion solaire sera financé par des entreprises chimiques et industrielles, des compagnies d’assurance, d’Internet, des sociétés d’ingénierie, des marques de cosmétique et même un producteur de champagne. Pour lui, l’obstacle majeur à l’innovation n’est pas technologique mais psychologique. « Ce ne sont pas les vendeurs de bougies qui ont inventé l’ampoule électrique. Ce sont toujours des gens complètement différents. »
Arrêter de vivre dans le passé
Pendant quinze mois, à bord de son avion solaire, Bertrand Piccard parcourt le ciel sans consommer une goutte de kérosène. « Dans mon cockpit, je regardais le soleil, je me disais « c’est ça qui me fait voler, je suis dans un film de science-fiction » ! » Il marque alors une courte pause avant de concéder : « En réalité, je n’étais pas dans le futur ; c’est le reste du monde avec ses vieilles technologies polluantes qui est dans le passé. » En effet, nos moteurs à combustion, nos ampoules à incandescence et nos énergies fossiles ont pris leur essor en 1880, ce sont des systèmes archaïques. « En attendant, ce n’est pas en supprimant les sapins de Noël qu’on va sauver la planète. » Une fois n’est pas coutume, Bertrand Piccard plaidera pour la décroissance, mais dans ce cas particulier, il s’agit bien de celle de la bêtise. « Il y a d’autres manières de faire car nous disposons des technologies permettant de diviser par deux les émissions de carbone. »
Concilier croissance et écologie
L’enjeu, pour celui qui voyage vers un avenir propre est dorénavant la diffusion de ces nouvelles technologies. Il s’agit là de son troisième défi : le défi des 1000 solutions.
La Fondation Solar Impulse labélise actuellement 1000 solutions propres, efficientes et rentables. L’objectif est de les présenter aux grandes instances décisionnaires mondiales, aux entreprises et aux collectivités afin d’accélérer la transition énergétique, tout en créant des « lois modernes » pour inciter leur utilisation. « Nous travaillons dans les domaines de l’eau, de l’énergie, de la mobilité, de l’industrie et de l’agriculture. Nous avons déjà labélisés 810 solutions immédiatement opérationnelles. »
Le label Solar Impulse Efficient Solution a pour objectif de certifier des innovations technologiques ayant un impact environnemental par une réduction de la consommation d’énergie : « Nous avons, par exemple, labélisé un module pour les moteurs à combustion de voitures, qui réduit de 80 % les émissions de particules et de 20 % la consommation de carburant. Il coûte 500 euros. Un taxi qui l’installe l’amortit en six mois et engrange ensuite des bénéfices. »
Entre croissance autodestructrice et retour au Moyen Âge, une troisième voie existe. Pour Bertrand Piccard, il s’agit de celle de la croissance « qualitative » : au lieu d’évaluer notre bien-être en fonction de la quantité croissante de biens et de services que nous consommons, nous pouvons tirer profit de l’immense opportunité de remplacer les vieux systèmes et équipements inefficients et polluants par des systèmes et équipements efficients et propres. Produire mieux plutôt que consommer plus, c’est aussi l’assurance de millions d’emplois créés, de nouvelles opportunités de marchés et de beaucoup plus de richesse. Pour l’heure il est urgent que le traitement du docteur Piccard soit administré le plus largement possible à nos populations tentées par le dogmatisme, les mirages et les fausses espérances…
Annabelle Baudin

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Bonjour Annabelle,
J’ai eu l’occasion de le rencontrer quelques jours à ses débuts en 85/86 lors d’un meeting de montgolfières dans les Vosges. Il sautait d’une montgolfière en deltaplane ! Le ciel, une passion et désormais au service de la planète. Un homme très brillant. Quel chemin !
Une rencontre éblouissante sans aucun doute ?
Je te remercie pour ce partage.
A bientôt,
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