Plusieurs d’entre vous se posent la question suivante : « allons-nous revenir au monde tel qu’il était avant l’arrivée du coronavirus ? » Pour y répondre, il me semble nécessaire de questionner celles et ceux qui n’ont pas attendu cette crise pour se retrousser les manches, penser et bâtir le monde que nous appelons de nos souhaits. Parce que rebattre les cartes avec les mêmes stratégies et les mêmes joueurs serait une erreur, j’ai proposé à Bernard Georges, responsable de la Prospective Stratégique au sein de la Direction des Ressources et de la Transformation Numérique du Groupe Société Générale, de nous offrir quelques nouvelles du futur! L’homme souhaitant éclairer les champs du possible, du probable, comme ceux de l’inattendu a profité des fêtes de fin d’année pour se rendre quelques jours à Venise en 2050.
Voici sa lettre rédigée depuis le futur, puisse-t-elle nous inspirer …
Françoise Cadol prête sa voix à des comédiennes étrangères. Parmi elles …Angelina Jolie ou encore Sandra Bullock.
Quand l’impossible est presque certain …
Venise, le 1er janvier 2050
Chère amie,
J’espère que cette lettre vous trouvera en bonne santé.
Il est tôt. Le jour naît. La place Saint-Marc est déserte. On entend le trottinement des pigeons. Majestueuses, les deux colonnes de la piazzetta encadrent au loin l’incessant va-et vient des vaporettos. Sous les arcades des Procuraties, le Florian et le Quadri servent leurs premiers cafés. Dans les vitrines, d’élégantes draperies de soie rouge brillent à côté de masques de bronze, de cuir et de papier mâché. Comme chaque jour, à peine éveillée, la ville s’apprête. Pour rester fidèle à elle-même, pour donner corps à son âme, à sa culture et à son histoire, où s’entremêlent art, politique et commerce, où la séduction et la commedia dell’arte le disputent à la musique et à l’opéra. Car, ils sont tous là, artistes, muses, personnages mythiques, et héros de légende, sur chaque place, au détour de chaque rue, Casanova, Arlequin, Vivaldi, Verdi, Titien, Véronèse et les autres, sur la plus grande scène du monde.
La magie opère toujours et encore à Venise. J’y suis revenu comme chaque année. Pour ne jamais finir d’en redécouvrir les lumières, et les courbes de ses quartiers, cousus les uns aux autres par le ruissellement des canaux. J’ai fait ce matin ma promenade préférée le long de la Riva degli Schiavoni, en direction des jardins de la Biennale. Le ciel était clair, sans brume. Le soleil réchauffait la lagune. Passés l’Arsenal et le Ponte de la Veneta, j’ai retrouvé rue Garibaldi ma petite boulangerie. Elle est toujours là, après tant d’années. Je me suis régalé. Ses fritelles sont toujours parmi les meilleures de la ville. Vous savez, ces petits beignets, parfumés et moelleux, servis nature ou garnis d’une crème au sabayon, préparés pour le carnaval. Vous les aimez bien, vous aussi, je crois. Puis j’ai marché, jusqu’à l’embarcadère Sainte-Hélène. J’ai pris le vaporetto jusqu’au Lido. Le vent soulevait quelques embruns. Bientôt l’avenue Santa Maria Elisabetta. Puis, au bout, le front de mer. Et sur la droite, un peu plus loin encore, depuis longtemps déjà transformé en musée, le Grand Hôtel des Bains, au décor inoubliable de la Mort à Venise de Visconti, et dont le seul nom évoque la Belle Époque, sensuelle et romantique, sa décadence et sa douceur de vivre. Tout semblait bien en place, à sa place, comme d’habitude. Je me suis installé sur la plage. Tout était calme. Je regardais en direction de la mer.
A vue d’œil, je dirais bien qu’elle fait trente mètres de haut cette nouvelle digue parcourant tout l’horizon. C’est un drôle de rideau, interminable, de plusieurs dizaines de kilomètres de long, fait d’immenses palplanches d’acier, emboîtées les unes dans les autres, plantées dans le fond de la mer à quatre cents mètres du rivage. Depuis cinq ans, sans faillir, ce bouclier titanesque retient la mer, désormais de trois mètres en moyenne plus haute que la lagune. Pouvait-on imaginer quelque chose de plus précieux que ce monumental édifice, qui effraie tout autant qu’il rassure ? Car grâce à lui, la Sérénissime est aujourd’hui, et pour de longues années encore, sauvée des eaux. Elle l’avait échappé belle pourtant.
Ce que vous ne pouvez savoir, c’est que le précédent ouvrage mis en service en 2020, que vous connaissez sous le nom de Moïse, et sur lequel reposaient tant d’espoirs, n’avait pu pleinement s’acquitter de sa mission que pendant vingt ans. Avec le temps, il s’était progressivement révélé inopérant, malgré ses imposantes vannes escamotables, placées aux entrées de la lagune pour protéger la ville de l’acqua alta lors des hautes marées. Car malheureusement, le niveau de la mer a continué de monter, inexorablement.
Une hausse exponentielle, déjouant les pires prévisions, atteignant maintenant plus de quinze centimètres par an ! Oui, vous lisez bien ! Pour sauver Venise de la catastrophe, il avait donc fallu tout repenser, tout reprendre à zéro, et imaginer à la hâte la plus folle et la plus radicale des solutions. Ainsi, en 2035, grâce à une souscription mondiale, fut-il entrepris de construire, encerclant la lagune et ses principales îles, cet immense mur de rétention, surnommé la Grande Muraille, percé d’écluses pour laisser le passage aux bateaux. Désormais, au centre d’un immense polder qui lui sert d’écrin, Venise semble être à l’abri de la montée des eaux, pour le réconfort de tous. Quel soulagement aussi d’avoir assisté à la fin du désastreux défilé des paquebots géants traversant autrefois la lagune qui, de toute leur hauteur, surplombaient monstrueusement la ville et qui, à chacun de leur passage, par leurs vibrations, contribuaient à l’engloutir un peu plus !
Êtes-vous bien calée dans votre fauteuil ? Car je pourrais bien vous surprendre davantage. En quelques années seulement, mais bien tardivement, les transformations du monde sont allées très vite, bien au-delà de la mise à l’abri de Venise.
Devant l’urgence climatique, le 1er août 2038, une date déjà inscrite dans les livres d’histoire et au fronton des monuments publics, les dirigeants du monde entier se réunirent en un congrès extraordinaire à Los Angeles, dont la région fut ravagée, l’année précédente, par de terribles et interminables incendies où périrent près de quatre cent mille personnes, le plus lourd tribut jamais payé par les hommes, en si peu de temps, en pareilles circonstances.
Ce 1er août, au plus chaud de l’été, les grands de ce monde prirent acte solennellement, devant l’Histoire et les générations à venir, de leur immense responsabilité. Oui, il fallait désormais, à l’échelle de la planète, « prendre soin de ce qui nous est confié, fragile et périssable », comme l’écrivait déjà en 1979 le philosophe Hans Jonas. Son livre « Le Principe responsabilité », traduit désormais dans toutes les langues, est aujourd’hui distribué dans les lycées du monde entier. Oui, il fallait cesser de faire semblant !
Cette fois-ci, c’était la bonne. Nos gouvernants, avaient décidé d’agir, ensemble. Ainsi, l’Organisation des Nations unies fut chargée de lancer une nouvelle coalition mondiale, dotée de moyens considérables, pour la sauvegarde de la vie et de la planète. Ce n’était pas trop tôt ! Une formation d’une telle ampleur s’était déjà mise en place quatre ans plus tôt à l’approche d’une énorme météorite qui avait failli heurter notre planète.
C’est ainsi que depuis quinze ans, les pays membres de l’ONU versent chaque année un total de trois mille milliards d’euros à celle que l’on nomme l’UNFORLIFE qui conduit, au nom de l’humanité, de vastes projets pour préserver l’habitat terrestre. L’audace est de retour. Pouvez-vous l’imaginer ? Des centaines de villes côtières ont été sauvées de la disparition, en même temps que de vastes forêts sont replantées sur tous les continents.
Mais il reste tant à faire. Des efforts considérables sont menés pour rétablir la biodiversité perdue et régénérer les grands écosystèmes. Mais quelle tristesse ! Tant d’espèces animales et végétales ont définitivement disparu ! Le grand requin, le tigre du Bengale, le gorille et l’éléphant d’Asie, pour ne citer que ceux-là, ne sont plus que des souvenirs dans les livres de classe, les films ou les musées. Le monde des insectes s’est lui aussi rétréci, bouleversant les chaînes alimentaires. Fort heureusement, des Etats-Unis, à l’Europe et la Russie, jusqu’à la Chine, la plupart des activités polluantes ont été abandonnées, réduisant drastiquement les émissions de dioxyde de carbone. Mais le mal avait été fait depuis longtemps. L’insuffisance des mesures prises dans la décennie 2020, par manque de courage politique et l’absence de perspective, semblait irrattrapable. Il faut dire que la situation devenait très grave ! Les objectifs fixés à Paris en 2015 par la COP-21 de limiter le réchauffement de la planète à un niveau nettement inférieur à 2°C étaient totalement dépassés. En 2030, les prévisions étaient déjà de 5% !
Je dois vous prévenir. Aujourd’hui, la vie a bien changé.
Les étés sont devenus insupportables, sur tous les continents. C’est un four ! Chaque année, pendant de longues semaines, les températures dépassent soixante degrés Celsius.
Nous vivons régulièrement comme des reclus, invisibles, à l’abri des murs de nos maisons, dès les moindres chaleurs. Sans réelle surprise, les scientifiques nous ayant de longue date mis en garde, nous observons avec désolation la fonte accélérée des calottes polaires et des glaciers de montagne. De manière inéluctable et conforme aux pires prévisions, le niveau de la mer s’élève, très vite, perturbe en profondeur les courants océaniques, et dérègle le climat. S’ensuivent ouragans et tempêtes, tornades et incendies, inondations et glissements de terrain, se succédant sans répit. Chacun à sa façon, au milieu des siens et avec les siens, tente de faire face, mais personne ne parvient à s’habituer à tant d’épreuves et de douleurs, si souvent répétées, à une telle échelle.
La bonne nouvelle, cependant, c’est que les hommes et les nations, poursuivant sur leur lancée, et bouleversés par tant de craintes et de désastres avérés, ont redoublé d’efforts, parachevant leur métamorphose, dans un ultime sursaut de lucidité, de dignité et de courage. Ils voulaient encore y croire, sauver ce qui pouvait l’être, mus par une force rédemptrice ou simplement la raison.
Ainsi, de concert, en très peu de temps, les grands dirigeants, réunis en un gouvernement mondial, ont réussi à mettre fin aux guerres de territoires et aux conflits de toutes sortes. L’abandon de migrants en pleine mer, après des décennies de tragédies, fut officiellement qualifié de crime contre l’humanité. L’idée d’économie circulaire s’est imposée à tous, tout comme celle de bien commun.
Plus encore, l’ONU, qui tient lieu désormais de parlement mondial avec sept mille députés élus au suffrage populaire, a voté à l’unanimité la mise en place d’un revenu universel et celle d’un capital universel, identiques dans toutes les régions du monde. La richesse, produite en grande partie par des robots, est aujourd’hui mobilisée et répartie de manière à peu près égale au profit de tous. Chacun fait sa part et contribue selon ses moyens. Etonnamment pour moi, qui garde le souvenir précis d’un autre temps, même les divergences idéologiques les plus farouches se sont apaisées, paraissant désormais futiles et dérisoires devant les enjeux de survie de l’humanité. Les gouvernants ont bien changé, leurs pratiques aussi. Exit le cynisme. A tous, plus que jamais, la vie paraît précieuse. Et par-dessus tout, ce qu’elle véhicule de culture partagée entre les hommes. Il semble bien que fraternellement leur grande caravane ait encore envie de faire un bout de chemin. Une nouvelle idée de l’homme et de sa destinée semble se dessiner. Pour combien de temps ?
Puisqu’en lisant cette lettre, vous permettez aux idées de voyager dans le temps, je vous en conjure, laissez-moi définitivement vous convaincre que vous avez encore, comme tous vos contemporains, de là où vous me lisez, le pouvoir de changer et d’infléchir le cours des choses, pour le meilleur et non le pire.
L’avenir n’est jamais écrit. Et les utopies, vous le savez, loin de n’être qu’un exercice de l’esprit ou d’inaccessibles lubies, peuvent, quand on le décide, devenir réalités. Hâtez-vous. Entraînez dans votre sillage les hommes vers ce qu’ils font de meilleur, en faisant humanité. Eclairez le chemin, déjouez les apparences, rétablissez les priorités, et conduisez ces hommes-là jusqu’au sommet caché par la montagne. Puisqu’il est encore temps. Et avant qu’il ne soit trop tard.
Quand, il y a deux heures à peine, en fin d’après-midi, j’ai quitté le Lido et repris le vaporetto pour rejoindre le Rialto, je me suis laissé aller, comme à chaque fois, à contempler longuement cet archipel envoutant de palais et d’églises à fleur de lagune, illuminés d’une douce lumière d’hiver. Lorsque pendant quelques secondes, le vaporetto est passé devant l’hôtel Danieli, où Proust, Balzac, Wagner, Sand et tant d’autres séjournèrent, puis devant le Palais des Doges, j’ai frémi, comme à chaque fois, ému par la puissance d’inspiration de cette ville, libre, fougueuse, qui, tout au long de son histoire millénaire, a osé choisir et bâtir son indépendance et son destin. Venise, plus que toute autre cité, est vivante, flamboyante. Elle est une âme rebelle et apaisée, un lieu métaphorique pour inspirer l’avenir de l’homme et le devenir du monde.
Je vous laisse enfin. Tout ici m’appelle, m’invite à la promenade et à la contemplation. Dans les salles de concert, ce soir, les virtuoses s’enflammeront, et je n’en finirai pas de me laisser étourdir. Ce soir encore, comme à chaque fois, tout ici me semblera simple, beau, tragique et essentiel.
Prenez soin de vous.
Mille amitiés
Bernard Georges
PS – Je ne suis plus vraiment sûr de la date d’aujourd’hui, mais cela change-t-il quelque chose ?
*Nîmes le 29 janvier 2039*
Chère Annabelle,
J’ai bien reçu la copie de la lettre de Bernard Georges depuis Venise que tu m’as transmise. Elle est datée de 2050 et c’est certainement une faute de frappe, car nous ne sommes qu’en 2036. Mais ce qu’il relate de Venise, de la lagune, de la nouvelle digue qui a remplacé celle de 2020 *(la fameuse vanne Moïse qui avait coûté si cher)* permet de constater qu’il l’a écrite entre l’effondrement de 2030 et la révolution de 2035. Je suppose que sa lettre a dû traîner pas mal de temps dans un dépôt de la poste italienne ou française avant de te parvenir. Dame, au commencement de la grande crise, plus aucun des services encadrés par la loi n’ont pu fonctionner et il y avait des choses plus importante que l’acheminement du courrier.
Tant de choses se sont passées depuis 2030 que je ne sais plus par où commencer. Je te fais donc un petit résumé de la façon dont les événements ont été vécus par ici. Quand je pense qu’en 2021, nous étions tous focalisés sur la crise sanitaire, les problèmes de vaccins, de masques, de tests, de confinements…! La maison était déjà en flammes et nous nous demandions si le confinement devait se prolonger ! Quel aveuglement !
Ici, au Grau du Roi, les touristes venaient toujours sur la plage, et les plus politisés s’interrogeaient sur la loi en cours d’élaboration concernant la souffrance animale, les plus écologistes observaient que les pêcheurs à la ligne ne sortaient plus grand chose et qu’il n’y avait même plus de moustiques sur les marais. Dire que deux ans plus tard, la plage était à Vauvert et que nos immeubles du Grau du Roi s’effondraient les uns après les autres, sapés à la base par la montée de l’eau. Les milliers de retraités qui avaient investi dans ce marché immobilier florissant des stations balnéaires, n’ont pas déménagé à l’intérieur des terres de bonne grâce.
Dans le Gard, quand l’hyperinflation post-covid a commencé, les gens se sont un peu moins affolés que chez toi à Paris, car nous avions au moins des petits producteurs qui nous permettaient de manger sans passer par les halles et les supermarchés. Mais tout de même, quelle panique ! Pour moi, bien que subissant comme tout le monde le manque d’électricité, les coupures d’internet, l’impossibilité de trouver la moindre pièce de rechange pour toutes les machines que nous avions, du frigidaire à l’informatique, la fermeture de toutes les administrations, j’ai au moins pu jouir du plaisir d’avoir eu raison en écrivant mon roman de politique fiction. Tu te souviens certainement des réactions que j’ai reçues quand j’ai publié *Le Porte-monnaie, une société sans argent. *Lordon m’a dit que je commettais *un contre sens tragique, *les anarchistes m’ont soutenu que l’argent était nécessaire* pour nous libérer de la dette (sic), *et tous mes amis de gauche m’ont traité d’utopiste et voulaient que j’adhère à leur idée de revenu universel, comme une transition raisonnable. Bonne blague ! Un revenu universel quand une hyperinflation nous tombe dessus sans crier gare !
N’empêche que mon livre s’est remis à circuler quand l’euro s’est mis à perdre 50 % de sa valeur chaque jour. D’un seul coup, il était moins utopique et même utile pour sortir de la crise sans crever. Je sais bien que la société d’aujourd’hui ne ressemble pas tout à fait à ce que j’avais imaginé mais les grands principes sont les mêmes : l’échange marchand et son médium argent ne sont pas indispensables ; l’entraide vaut mieux que la concurrence ; les profits financiers interdisent toute politique environnementale et, entre les deux, il fallait choisir ; organiser l’accès sans condition, pour tous, à tous les biens, services et savoirs est possible grâce à l’informatique ; les systèmes hiérarchiques sont toujours moins performants que les systèmes transversaux, etc.
L’hyperinflation ne nous a pas laissé d’autre choix que le grand chaos ou la construction, pas à pas, de la société de l’accès que j’avais préconisée. Ensuite, j’ai pu constater très concrètement que mes plans étaient souvent foireux, que ce que je croyais impossible a été réalisé et ce que je croyais facile s’est avéré plein d’effets pervers, que le diable se cache dans les détails et qu’une société n’est qu’un ramassis de détails ! L’essentiel de ce que j’avais prévu de réel, c’est que les solutions venant du local étaient toujours plus judicieuses que celles qui s’imposent depuis la capitale. Mes amis de gauche, pour la plupart très jacobins, ont freiné des quatre sabots mais en vain. L’expérience a été le meilleur argument. Tout ce qui a été crée collectivement et à l’échelle d’une petite commune a bien résisté et a servi de modèle. Les préfets, les conseillers régionaux, les députés, les ministres n’ont rien produit de viable dès que leur outil de prédilection, l’argent, a manqué.
A ce propos, la version de Bernard au sujet de la « grande muraille » de Venise est sujette à caution. Il s’est laissé intoxiqué par la presse réactionnaire de l’époque. En réalité, la fameuse souscription mondiale lancée par l’ONU est très vite « tombée à l’eau ». L’inflation l’a réduite comme peau de chagrin ! La digue a été construite grâce à un immense chantier international de bénévoles et cette masse considérable de main d’œuvre a été logée par les habitants de Venise et Trieste et nourrie grâce au Secours Populaire français et son homologue italien qui ont organisé une remarquable cantine. Des camions sont venus de partout l’approvisionner. Le mur d’enceinte et les écluses ont été construits avec des pelles et des pioches, à la chinoise ! L’ONU a d’ailleurs été dissoute avant la fin des travaux au profit d’instances internationales constituées sur des problèmes précis, sur mandats impératifs, avec des volontaires révocables. Bernard aurait dû interroger les témoins de l’époque (ils n’en manquent pas) plutôt que de lire les anciens panneaux que les autorités de l’époque avaient dressés un peu partout sur la digue à la gloire du génie capitaliste ! Les Vénitiens les ont préservés afin d’en rire tout leur saoul…
Mais ne reprochons pas cette erreur à Bernard. Il y a eu tant de résistances, tant de fausses interprétations, tant de lancements de projets ambitieux avortés à peine confrontés au réel ! Si tu savais le nombre de mails que j’ai reçu à cette époque pour me suggérer des plan d’actions « essentiels et incontournables », surtout venant des économistes les plus réputés. Si l’on excepte Paul Jorion et Jacques Fradin qui avant même le début de l’inflation nous avaient soutenus et avaient osé parler de « désargence », de « société a-monétaire », de « civilisation de l’accès », tous nous ont démontré qu’on ne résout pas un problème avec l’outil qui l’a causé, qu’on ne répare pas un système à bout de souffle mais qu’on en change, qu’on ne lutte pas contre une doxa, on la rend obsolète (à leur insu bien entendu…).
Bernard a bien raison de citer la date du 1er août 2038 et le congrès extraordinaire de Los Angeles. C’est tout de même là, et pour la première fois dans l’histoire de l’humanité que des représentants des 197 pays se sont enfermés dans un bâtiment en promettant de n’en sortir qu’avec une charte commune inscrivant dans le marbre l’illégalité de toute marchandisation, la résolution de tout conflit international par des *Comités de conciliation* tirés au sort pour un unique mandat impératif, l’organisation des banques de données permettant d’avoir une vision globale des ressources et des besoins et celle des blockchains capables de permettre à tous sans aucune exception l’accès équitable à l’essentiel, et surtout l’inscription de la nature, de la santé, de la culture, de l’émancipation parmi les choses essentielles, autant que l’eau, l’air pur, la nourriture corporelle et spirituelle…
A Nîmes comme ailleurs, et sans doute aussi chez toi, à Paris, il reste tant de choses à faire. La fin de l’argent a modifié à ce point ce que l’on attribuait bêtement à la nature humaine, qu’il faut tout repenser, tout reconstruire. Tant de gens se sont vus un temps privés d’avenir, de sens, de rêve et même de pain, qu’on ne sait plus parfois où donner de la tête. Mais pour une fois, ce n’est plus dans la colère et la dépression, mais dans la passion et la jubilation.
Je ne te souhaite pas d’aller bien, je me doute que c’est le cas pour toi avec l’engagement qui est le tien et ta générosité. Jef.
PS : J’espère que tu ne souffres pas trop du dérèglement climatique dans ton appartement parisien. Nous avons vraiment eu une chance inouïe de réussir rapidement à tout climatiser via les moteurs sterling, l’énergie de la fusion froide et les moteurs quantiques. Dire qu’au temps de l’argent, ces innovations avaient été bloquées pour « manque de rentabilité financière » !..
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