Une école au service d’une société nouvelle !

La société dans laquelle nous vivons est de plus en plus mouvante et complexe. Les générations à venir vont devoir faire face à de nouveaux défis que seule une éducation entièrement repensée permettra de relever. Près de 70 % des métiers qu’exerceront les enfants qui entrent aujourd’hui à l’école n’existent pas encore.

Face à l’accélération des technologies, la grande majorité des digitales natives n’auront pas « un » emploi, mais « des » emplois. Dans cet environnement en profonde mutation, où le savoir est accessible à tous et partout, il apparaît essentiel de questionner l’école.  

 Les méthodes d’apprentissage et de spécialisation actuels de type industriel datant du siècle dernier, sont-elles encore adaptées ?

Le rôle des enseignants n’est-il pas à redéfinir profondément ?

L’école est-elle à réinventer ?

Ce matin, j’ai rendez-vous à l’école des Bosquets d’Epiais-Rhus, située dans une commune du Val-d’Oise. Cet établissement public forme des enfants qui à ma grande surprise se définissent comme « des bâtisseurs du futur ».

Pour Philippe Viard, le directeur de l’établissement, « L’école du XXIe siècle doit permettre aux élèves de bien se connaître afin qu’ils identifient leurs objectifs de vie et s’approprient naturellement tous les moyens nécessaires pour les atteindre. »                                                                

Je comprends vite qu’ici, la notion de réussite ne recouvre pas seulement leurs performances scolaires.

Au-delà des disciplines traditionnellement étudiées, l’enseignement s’ancre dans l’environnement direct de l’enfant. Notamment à travers la grande place accordée à la découverte de la nature.  Car l’école des Bosquets est une éco-école.

Cette approche a pour objectif de les convaincre qu’ils ont la capacité de changer le monde qui les entoure. Ici les questions d’éco-citoyenneté, de réchauffement climatique ou de gestion des déchets sont autant de sujets qu’ils abordent quotidiennement.

D’ailleurs, dès mon arrivée, une affiche m’interpelle : « La terre est la seule planète où il y a du chocolat, alors protégeons-là ! » Le ton est donné.

Travail d’équipe et entraide au cœur du processus d’apprentissage

L’un des secrets de la classe de Philippe, c’est qu’elle est composée de trois niveaux différents, du CE2 au CM2. Mes a priori sur les classes multi-niveaux ont volé en éclats en découvrant ô combien le travail d’équipe et l’entraide sont au cœur de ce processus d’apprentissage.

Dès mon arrivée, Anaëlle qui est en CM2 m’interpelle sur le fait que certains enfants ont besoin d’un tuteur, « On n’est jamais seul en classe ! Nous pouvons à tout moment aider un camarade à comprendre les consignes par exemple. »

Ainsi, les élèves en difficultés, peuvent compter sur la dynamique du groupe pour s’investir et apprendre à leur rythme, en fonction de leur maturité affective.

Ici, l’individualisme n’a pas sa place et le faire ensemble prend le pas sur la réussite individuelle. « L’un des objectifs de cette école est avant tout l’épanouissement des enfants, me précise leur enseignant. Cette génération fera partie de l’équipe de transition. Ils doivent y être préparés. » 

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Des élèves totalement autonomes 

Dans un monde où le narcissisme ne cesse de croître, où les valeurs de compétition et d’individualisme sont à leur apogée, je constate que les enfants qui m’entourent sont bel et bien en train de forger une société nouvelle.

Au-delà des savoirs académiques qui s’impriment, les élèves de cette école apprennent à comprendre les émotions des autres et à s’enrichir de leur différence.

La journée n’a pas commencé mais les élèves, totalement autonomes, se précipitent sur le tableau pour écrire ce qu’ils souhaitent présenter devant leurs camarades. « Tous les matins, nous avons la liberté de présenter ce qu’on a envie ! m’explique Ethan. Il suffit d’inscrire notre nom sur le tableau. Et pendant ce temps, on peut aussi faire nos ″Responsabilités″ ! »

 Thibault m’indique qu’il est responsable de la météo des Écoles. Tous les jours, il relève la température extérieure, avant de se connecter à l’intranet de sa classe. « C’est ma responsabilité ! » Il m’annonce fièrement que le temps est nuageux, et me demande si je connais la différence entre les stratocumulus et les cirrostratus.

Vous connaissez, vous ?

Pendant ce temps, Louis me dévoile fièrement son travail. « Regarde ! Hier soir, j’ai préparé un exposé sur Louis Burton. Ça t’intéresse toi le Vendée Globe ? » Je lui demande si c’est son professeur qui lui a demandé de faire cette recherche. Sa réponse est surprenante. « Non. Tu sais, ici tous les matins on peut faire découvrir à la classe tout ce qui nous intéresse ! »

Expérimenter la démocratie au quotidien et développer son leadership

Poésies, exposés, inventions insolites – aujourd’hui une boîte à recycler les déchets de l’école -, c’est par la prise de parole en public que démarre la journée. Une façon d’assumer ses passions, de les incarner et de développer son leadership. Si bien que les élèves se donnent eux-mêmes des devoirs ! « Le soir, on n’a plus le temps de jouer aux jeux car on a trop de choses à faire, tu comprends ! » Ajoute Louis.

La séance de prise de parole s’achève par une réflexion commune autour des règles de la classe qui évoluent au fil du temps. Pour cela, trois groupes se distinguent.

Ce matin, les « décideurs » formulent par écrit une nouvelle proposition de « loi ». « Comment faire pour qu’un enfant qui n’a pas respecté une consigne puisse se rattraper par une belle action au lieu de se voir attribuer une punition par le groupe « juridique » ? »                            

Le groupe des « législateurs » a pour mission de voter – ou non – la « loi » proposée.

Le groupe des « juristes » livre alors une sanction ou un bonus, comme plus de responsabilités, ou une permission supplémentaire favorisant l’autonomie.

Une façon de créer les conditions favorables au débat autour du rôle de chacun au sein de l’écosystème scolaire et d’expérimenter la démocratie au quotidien.

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Donner du sens à l’apprentissage

Il est 9h00. L’heure est à l’ouverture des cahiers, ou plutôt des « contrats » où figurent exercices de grammaire, de calcul et surtout pages d’auto-évaluation. Autour de moi, certains élèves s’entraident, d’autres ressentent le besoin de s’isoler pour mieux se concentrer. Un enfant m’explique qu’il a même le droit de « copier » sur son voisin ou de se tromper, « l’essentiel c’est de comprendre, même si on n’y arrive pas toujours du premier coup. »

Si les méthodes d’enseignements de Philippe Viard reposent sur la responsabilisation des enfants, il n’est pas question de faire l’économie de l’apprentissage. Pour preuve les anciens élèves de l’école des Bosquets, qui sont maintenant au collège, figurent parmi les premiers dans la majorité des disciplines. « Ils ont appris à raisonner avant de mémoriser. Cela change tout ! » reconnait Philippe avant de démarrer un exercice de grammaire avec les CE2 sans en donner la règle.

Une méthode singulière qui consiste à considérer les enfants comme des chercheurs. Concentrés, les élèves se meuvent alors en scientifiques. « C’est à nous de découvrir la règle qui se cache derrière chaque nouvelle leçon, m’explique l’un d’entre eux très enthousiaste. C’est comme un jeu ! Philippe nous explique seulement une fois que nous avons trouvé. On retient tout plus facilement parce qu’on comprend d’abord avant d’apprendre. » Pendant l’exercice, la coopération est largement encouragée.

Tout l’enseignement de Philippe Viard consiste à donner du sens à l’apprentissage !

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L’heure de la récréation approche mais ici, les enfants ne sont pas assis plusieurs heures par jour à une place assignée pour apprendre des sujets imposés. Ils sont libres d’être eux-mêmes.

Résultat, certains élèves en profitent pour continuer d’étudier librement sur leurs carnets d’auto-évaluation. D’autres préparent leur leçon de musique qui aura lieu après le déjeuner.  Un petit groupe d’élèves se forme déjà pour une répétition improvisée autour des violons, d’une clarinette et d’un piano. Pendant ce temps, Maya et Clara interpellent le personnel de la cantine : « C’est aujourd’hui qu’on mange bio ? » tout en m’expliquant les vertus du bio sur la santé et l’urgence d’en finir avec les pesticides.

C’est aussi l’occasion pour eux de me faire découvrir leur potager, la mare pédagogique, les plantes « prises dans la glace en hiver mais qui renaissent au printemps. »

Des élèves-chercheurs en phase avec les enjeux du XXIe siècle 

À l’école des Bosquets, il est capital de favoriser chez les élèves cette curiosité innée qu’ils ont du monde. Guidé par l’enseignant, les enfants apprennent à devenir des élèves-chercheurs. Ils identifient eux-mêmes les problématiques auxquels ils sont confrontés, formulent des hypothèses et élaborent leurs propres protocoles d’apprentissage pour y répondre. Ils sont aussi totalement en phase avec les enjeux écolo-citoyens de l’époque.

Ce n’est donc pas un hasard si l’école des Bosquets vient d’être sélectionnée comme pionnière de l’éducation par le réseau international Ashoka*, devenant ainsi une ChangeMakerSchool. Ces écoles permettent aux élèves d’intégrer des compétences dont ils auront besoin pour devenir des citoyens orientés vers l’innovation et la recherche de solutions.

À la sortie de l’école, les parents des enfants m’indiquent que les anciens élèves de cette ChangeMakerSchool partagent de nombreux dénominateurs communs. « Ils ont confiance en eux et vont plus naturellement vers les autres. Ils sont curieux de tout et mus par un grand esprit d’initiative ! Ils n’ont pas peur de se remettre en question ou de prendre des risques. » dixit Corinne, une maman qui aimerait que ce modèle de ChangeMakerSchools irrigue largement la société.

Annabelle Baudin

 *L’ONG Ashoka porte la vision d’un monde dans lequel chacun devient acteur de changement. Pour atteindre cette vision, il est nécessaire de transformer la manière dont nos enfants grandissent, afin qu’ils puissent développer dès le plus jeune âge des qualités telles que l’empathie, le travail d’équipe, la prise d’initiative, la créativité…

Ashoka fédère dans son réseau de « ChangeMakerSchools » des écoles qui cultivent ces qualités chez leurs élèves, du primaire au secondaire.

Le but : s’appuyer sur ces écoles pionnières et sur un réseau d’innovateurs du secteur de l’éducation pour montrer qu’une autre manière d’apprendre et de grandir est possible, et provoquer un profond mouvement de transformation de l’écosystème éducatif.

Pour en savoir plus  sur Ashoka et l’éducation, c’est ici !

2 commentaires sur « Une école au service d’une société nouvelle ! »

  1. Bravo pour votre article et pour cette école. Le seul problème, c’est que les enfants ont de 20 à 50 ans d’avance mentale et technologique sur leurs enseignants. Tant que les enfants seront gavés d’un savoir d’avant leur naissance et que leurs maîtres ne s’avoueront pas ignorants tout en restant indispensables, la société aura du mal à évoluer et ce genre d’école restera malheureusement marginal!

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  2. Je suis admirative de la création de cet établissement scolaire! J’aimerais en savoir plus sur la formation de cette structure et celle des enseignants. Dans une société qui étouffe de ne plus assez créer et transmettre, de ne plus se donner le droit de comprendre pour vivre, vous adultes et enfants redonnez du sens au savoir et à l’avenir. N’être plus passif mais actif. MERCI infiniment. Nathalie

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