Ils n’ont pas trente ans et ont créé Singa. Cette association permet aux personnes ayant obtenu le statut de réfugiés de développer des projets professionnels, en favorisant l’enrichissement culturel et la création d’emploi. Rencontre avec des créateurs de valeur !
C’est rue d’Amsterdam, à quelques mètres de la place de Clichy à Paris que Nathanaël Molle m’accueille au sein des locaux de l’association Singa. Si Nathanaël vient d’être cité par Forbes parmi les trente entrepreneurs de demain, il me précise que Singa est avant tout le fruit d’une aventure commune avec ses amis, Guillaume Capelle et Alice Barbe. Rencontre!
En 2011, diplôme en Relations Internationales en poche, Guillaume et Nathanaël quittent la France afin d’approfondir les questions relatives à l’assistance juridique des réfugiés. « Il s’agit ni plus ni moins que de la question des Droits de l’Homme,» souligne Guillaume qui, à la fin de ses études, s’est rendu en Australie dans l’idée de devenir assistant juridique au cœur d’une ONG. « On m’a rapidement proposé de faire partie d’un groupe qui soutient les migrants arrivant sur le sol australien. Je suis allé à leur rencontre dans des centres. Ces personnes qui avaient fuient des situations dramatiques étaient enfermées pendant parfois de nombreuses années en attendant une décision de l’Etat sur leur sort.»
Lorsque je lui demande quel est le souvenir le plus prégnant de son séjour, sa réponse est saisissante.
« Je me souviens d’un Tamoul toujours souriant, constamment enthousiaste. Il était systématiquement présent pour remonter le moral de ses compagnons d’infortune. Quelques temps après mon retour en France, j’ai appris qu’il s’était suicidé.»
L’émotion de Guillaume est palpable. Durant son séjour, il a tissé des liens forts, « amicaux » avec ces personnes dont il décrit la capacité de résilience comme extraordinaire.
De son côté, c’est au sein d’une ONG marocaine que Nathanaël, son acolyte co-fondateur de Singa, décide de faire un stage. « Cette ONG luttait en faveur des Droits de l’Homme dans ce pays. Au Maroc, la législation ne permettait pas aux réfugiés d’avoir un travail de salarié, mais il était toléré qu’ils puissent créer des micro- entreprises. » Nathanaël rencontrait ces entrepreneurs lorsqu’ils avaient des problèmes.
« Ces personnes trouvent le courage de se réinventer totalement en dépit des situations de détresse extrême dans lesquelles elles se trouvent. En outre, une personne qui crée son entreprise va à terme générer des emplois et non pas en voler, payer des impôts et non pas coûter à la société, et vendre des services ou des produits, et donc s’intégrer naturellement. »
De retour en France, mus par le désir de réenchanter le monde en créant du lien social, ils mettent leurs expériences en commun. Ils prennent alors conscience que les réfugiés sont confrontés partout à des difficultés similaires. Ils m’expliquent ainsi, qu’au-delà de la protection juridique, ces hommes et ces femmes ont besoin d’un accompagnement qui sorte absolument de la logique de l’assistance.
Imaginer et créer de nouveaux services!
Durant un an, ils vont aller à la rencontre de personnes réfugiées pour évaluer leurs besoins. A l’issu de ces rencontres, le duo met en lumière le manque profond d’interaction entre réfugiés et société d’accueil. Ils se rendent alors à l’évidence ; s’ils veulent contribuer à lever ces barrières, ils vont devoir imaginer et créer de nouveaux services.
« Toutes les questions auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui sont liées à un manque manifeste de dialogue avec l’autre, m’explique Nathanaël. Ces personnes ont des passions, sont porteuses de valeurs et d’un savoir-faire souvent inédit pour nous, ainsi que d’une grande volonté. »
Des forces vives pour la société de demain!
Fort de leurs convictions et animés par la certitude que ces personnes peuvent devenir des forces vives pour la société de demain, ils fondent Singa en février 2012. Le mot n’est pas choisi au hasard puisqu’il signifie « lien » en Lingala. C’est le début d’une merveilleuse aventure alliant solidarité et création d’entreprise.
C’est à ce moment qu’Alice Barbe, aujourd’hui co-directrice de Singa, rejoint l’équipe pour les aider à structurer leur projet. « Singa s’adresse à tous les personnes réfugiées porteuses d’une ambition dans le domaine culturel ou sportif, jusqu’à la création d’une entreprise, m’explique-t-elle. Celle-ci sont pleines de ressources, et leur passé a de la valeur. L’asile doit être une solution de continuité ! Ici, nous analysons leurs besoins, puis nous proposons des formations concrètes et opérationnelles, notamment grâce à nos partenaires. »
Côté partenaire, la Communauté Singa, intègre des entreprises désireuses de transformer l’inconnu en opportunité ! Ces entreprises ont bien compris que l’innovation est avant tout une question de collaboration ouverte et de diversité.
Singa intervient en leur permettant de tisser des liens vivifiants avec les réfugiés, via de formidables outils comme les « Mad Days. »
Durant ces journées, des entreprises viennent résoudre les problématiques d’un entrepreneur Singa. Nathanaël témoigne que pour les entreprises, cela permet de plancher sur des questions très tangibles, qui les sortent de leur quotidien, tout en leur permettant de développer de nouvelles compétences.
L’effet est immédiat, cela enrichit les salariés d’une part, qui se retrouvent face à des réfugiés souvent diplômées, d’anciens professeurs, patrons, artisans, avocats, médecins ou artistes, et d’autre part cela représente une aide capitale pour le lancement des entrepreneurs Singa. Le trio constate que les entrepreneurs qu’ils accompagnent apprennent ainsi beaucoup plus vite le français, et intègrent également plus rapidement nos codes sociaux-culturels. Alice m’interpelle sur le fait que ce n’est pas en restant reclus entres eux dans les centres d’accueils que ces personnes peuvent comprendre nos notions de politesse, par exemple. « Imaginez que certains viennent de pays où l’on ne se regarde jamais dans les yeux. »
Replacer l’humain au cœur de l’économie.
Ces journées revêtent alors un caractère indispensable, et représentent une façon concrète de replacer l’humain au cœur de l’économie. Et lorsqu’il s’agit de créer du lien, et de générer de l’empathie, l’équipe SINGA fourmille d’idées!
Des « Week-end Nature » en passant par la « Singa Night », un Open Mic (une scène ouverte aux artistes), tous ces événements accessibles au grand public, ont bel et bien pour objectif d’en découdre avec les fantasmes entraînant le communautarisme et le repli sur soi.
Singa nous offre la possibilité de porter un regard neuf sur ces personnes via l’échange, en instaurant la possibilité du dialogue et de l’enrichissement mutuel. Dans une société où le contact entre les individus se raréfie, Singa bouscule les codes et contribue à l’intérêt général en créant du lien.
Si Singa est en mesure de proposer à chacun des moyens à pour agir, l’association enjoint aussi la société civile à se mobiliser. « Que ce soit pour héberger les réfugiés, les emmener au musée, leur donner un cours ou juste jouer au foot une heure avec eux, nous pouvons tous faire quelque chose, » insiste Alice très optimiste face à l’enthousiasme citoyen qui ne cesse de croître.
L’avenir ne se prévoit pas, il se prépare.
Parmi les projets remportant un vif succès, le réseau « CALM », Comme A La Maison, est probablement celui qui illustre le mieux notre capacité à devenir de véritables acteurs de transformation, pour que chacun trouve sa place dans une société qu’il aura lui-même contribué à faire grandir.
En effet, CALM, permet à des réfugiés mal logés ou sans domicile fixe de pouvoir séjourner chez des habitants volontaires qui peuvent les accueillir, s’ils ont une chambre libre par exemple. Singa les met en relation sur Internet en fonction des passions partagées, de leurs professions, de la durée du séjour. Singa forme et accompagne chaque volontaire tout au long de cette démarche pour s’assurer que cette expérience humaine soit la plus vivifiante possible.
Guillaume souligne que si les réfugiés font ce qu’il nomme un « voyage inattendu, » CALM représente pour eux l’opportunité inouïe d’être accueilli non pas comme des victimes, mais comme des résilients porteurs d’une partie de la réalité de demain. Une merveilleuse façon d’éviter que les graines de l’humiliation engendre l’autodestruction d’une personne, ou la destruction du système par cette personne.
Chez Singa, tous sont convaincus que l’avenir ne se prévoit pas mais qu’il se prépare, et c’est bien de notre avenir commun dont il est question. « Aujourd’hui, certains réfugiés sont logés avec des demandeurs d’asiles dans les centres d’hébergement. Cela coute 1000 euros par mois et par personne à la société, et cela ne favorise pas leur intégration, ajoute Alice. Ces personnes ont survécu, elles doivent maintenant vivre ! »
L’objectif à terme de ce dispositif est de créer 5000 places pour les réfugiés, ce qui est l’objectif du gouvernement français.
« Ma croyance aujourd’hui, c’est que voter une fois dans l’année unique, n’a plus vraiment de sens. Nous avons bien compris que les politiciens ne sont pas les seuls acteurs qui gèrent la société mais il faut donner aux citoyens les outils et l’envie de redevenir des acteurs de leurs sociétés, » reconnait Nathanaël.
La fraternité n’est pas une utopie.
L’association Singa développe actuellement une application numérique qui permettra de faciliter et multiplier le nombre d’hébergements sur le territoire français. Pour créer cette plateforme numérique, Singa a lancé une campagne de crowdfunding sur Co-city, une nouvelle plateforme de financement participatif citoyen.
Rejoindre le réseau CALM de SINGA c’est faire éclore de chaque rapport humain une opportunité fabuleuse de nous redécouvrir nous-même en nous investissant davantage dans la relation à l’autre, tout en nous ouvrant à la richesse du monde.
Aujourd’hui, plus de 15 000 citoyens confiants en l’avenir ont proposé leur hébergement sur le réseau CALM. « C’est fabuleux de voir à quel point la générosité provient de toute la société. Lorsque j’ai un coup de blues, j’ouvre notre base de données, » confesse Alice.
La fraternité n’est donc pas une utopie. C’est cette bonne nouvelle que nous transmettent ces entrepreneures du changement. Chaque jour, ils démontrent que ce sont ces expériences de proximité et cette amitié sociale qui permettent le maintien de notre égalité et de notre liberté. Et lorsque je leur demande comment ils définissent le « Nouveau Monde », leur réponse ne se fait pas attendre : « Connecté ! »
Annabelle Baudin
Bonus des optimistes:
AGIR!
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Découvrez le TEDx de Guillaume Capelle